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Vous avez dit commissaire de justice ?

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Vous avez dit commissaire de justice ?
Vous avez dit commissaire de justice ?

Depuis le 1er juillet 2022, les huissiers de justice et les commissaires-priseurs judiciaires exercent désormais sous un seul et même nom : « commissaires de justice ». Et pourtant... des deux côtés, se ressent une certaine perplexité face à une réforme qui apparait insuffisamment préparée et semble mal comprise.

Où en sont les professionnels aujourd’hui ? OnLib’Infos fait le point avec Marine Favre, commissaire de justice (huissier de justice) et vice-présidente de l’Union nationale des commissaires de justice (UNCJ) et Agnès Carlier, commissaire de justice (commissaire-priseur) et vice-présidente de la Chambre nationale des commissaires de justice (CNCJ).

Vous êtes désormais « commissaire de justice ». Qu’est-ce qui a changé dans votre pratique professionnelle depuis le 1er juillet 2022 ?

Agnès Carlier : En tant qu’ancien commissaire-priseur, cette fusion me semble pour l’instant encore largement théorique. Je ne fais pas de saisie bancaire, de saisie vente, ni d’expulsion et je constate qu’à ce jour, chacun continue d'évoluer dans son propre couloir de nage. La loi a prévu une période de transition pour que nous travaillions ensemble, mais en pratique, tout ou presque reste à construire.

Marine Favre : J’avoue avoir encore un peu de mal à saisir le sens de cette fusion. Quoi qu’il en soit, à ce jour, en tant qu’ancien huissier de justice, mon quotidien professionnel n’a pas changé d’un iota. J’ai refait mes plaques mais le nom « commissaire de justice » n’est pas encore assez connu pour que la profession soit bien identifiée. Cela viendra surement, mais aujourd’hui, quand je me présente, je suis toujours « huissière de justice.

Quelles sont les difficultés de mise en œuvre selon vous ?

M.F : Nos deux professions ont un cœur de métier tellement différent ! Les missions principales des anciens huissiers sont centrées sur le recouvrement de créances et l’exécution des décisions de justice et celles des commissaires-priseurs reposent sur l’expertise des objets, l’histoire de l’art et l’organisation de ventes aux enchères. À ce stade, je ne perçois pas d’appétence particulière, ni d’un côté, ni de l’autre, pour se former aux compétences spécifiques de l’autre profession.

A.C : Réussir à faire en sorte que nos deux professions s’accordent n’est pas simple en effet ! Notamment en termes d’harmonisation des process. À l’heure actuelle, les activités des commissaires-priseurs ne peuvent pas s’insérer dans les systèmes informatiques qu’on nous propose. Les SS2I doivent développer des programmes spécifiques pour les professions, ce qui est très compliqué. 

Les formations proposées vous semblent-elles répondre aux besoins des professionnels ?

A.C : « Le métier de commissaire-priseur repose sur un double cursus en droit et en histoire de l’art, souvent via l’École du Louvre. Cette formation est essentielle pour l’aspect judiciaire de notre métier, par exemple pour les crédits municipaux où il faut avoir des connaissances en or, en bijoux, en poinçons, et les tutelles. La formation actuelle des commissaires de justice repose à 80 % sur le parcours des anciens huissiers de justice, avec trop peu de modules consacrés aux spécificités de notre activité.

M.F : Pour devenir commissaire de justice nous avons dû suivre une formation passerelle, avec quelques heures d’histoire de l’art, en distanciel.  Cela ne suffit bien évidemment pas pour acquérir les compétences d’un commissaire-priseur... Ne m’appelez pas pour expertiser des vases de Chine ! Pour ceux qui ont une véritable appétence pour l’art, c’est certainement une belle opportunité pour élargir son spectre d’activité mais je ne suis pas certaine que cela suffise...

Quel impact positif cette fusion peut-elle avoir en termes d’image et d’attractivité des professions ?

M.F : L'image de l'huissier de justice reste souvent associée à des interventions perçues comme négatives, alors que notre métier est bien plus riche et repose sur un véritable sens du service, avec beaucoup d’empathie et un rôle social essentiel. Peut-être, qu’en effet, cette réforme contribuera à tourner la page sur la perception dépassée du métier et de mieux valoriser la diversité de nos missions.

A.C : De part et d’autre, la fusion offre la perspective d’un périmètre de compétences élargi, susceptible d’attirer de nouveaux profils, sensibles à l’idée d’exercer un métier juridique plus polyvalent et moins stéréotypé. D’ailleurs, le nombre d’étudiants ayant passé l’examen d’entrée à la profession a encore augmenté cette année, témoignant d’un regain d’intérêt pour cette nouvelle configuration professionnelle.

Comment voyez-vous le commissaire de justice dans 10 ans ?

A.C : Rappelons que cette réforme concerne 2 500 huissiers et seulement 400 commissaires-priseurs qui cherchent leurs marques... Si l’objectif louable de ce regroupement est de rendre la profession plus visible et plus solide, la transition n’est pas évidente à gérer. Je ne doute pas que tout cela se mettra en place progressivement. Sur le fond, il me semble difficile de prétendre devenir commissaire-priseur judiciaire en faisant l’impasse d’une base solide en histoire de l’art. Sans une formation complémentaire ciblée et des ajustements réglementaires, il sera difficile de créer une véritable profession unifiée.

M.F : Pour que cette réforme porte ses fruits, il faut souhaiter que les professions se rapprochent concrètement, notamment avec la création d’offices qui rassemblent en leur sein d’anciens huissiers de justice et des commissaires-priseurs judiciaires. Cette interprofessionnalité facilitera l’intégration des compétences avec la formation des uns et des autres sur le terrain.

Les syndicats des deux professions se sont-ils rapprochés ?

A.C. : Pas encore, même l’on peut souhaiter que ce soit le cas entre le SOCVEM (anciens commissaires-priseurs judiciaires) et l’UNCJ (plus orienté anciens huissiers de justice) pour des raisons évidentes de défense des intérêts des professionnels, de conception de programmes de formation adaptés, ou encore, de développement de marchés commun.

M.F : Je confirme en effet que l’UNCJ, ouvert à tous les professionnels concernés par cette réforme, ne compte à ce jour aucun commissaire-priseur d’origine parmi ses adhérents. Toutefois, des officiers vendeurs issus de cette activité nous ont rejoints. Notre action aujourd’hui se concentre principalement sur l’accompagnement de nos confrères adhérents dans le respect de la nouvelle législation. Nous nous assurons que les règles régissant la fusion soient bien comprises et appliquées par les membres concernés, conformément aux textes en vigueur.

Le mot de la fin ?

M.F : L’avenir du commissaire de justice ce sont les jeunes ! Je n’ai pas, personnellement, l’ambition de lever le marteau dans une salle des ventes, mais il me semble que la bicéphalité des compétences est déjà naturellement intégrée par la nouvelle génération de diplômés qui a fait le choix de ce métier a deux facettes et se sent déjà aujourd’hui pleinement et uniquement commissaire de justice.

A.C. : Il faut du temps pour mettre en place une telle réforme... Or le couperet arrive vite, puisque les commissaires-priseurs, tout comme les huissiers, ont jusqu’à fin 2025 pour achever la formation requise et obtenir le Diplôme National d’Aptitude aux Fonctions de Commissaire de Justice (DNACJ), qui inclut les compétences nécessaires aux deux anciens métiers. À partir de janvier 2026, il n’y aura plus d’anciens huissiers de justice ou d’anciens commissaires-priseurs judiciaires, tout le monde sera commissaire de justice ou ne sera pas !

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