Vétérinaires en crise : le point de vue de l’expert-comptable
Comment permettre aux vétérinaires de maintenir la qualité de leurs soins tout en conservant leur indépendance ? Jauffrey d’Ortoli, expert-comptable spécialisé dans l’accompagnement des structures vétérinaires, a répondu aux questions d’Onlib’Infos sur les difficultés rencontrées par cette profession en crise, confrontée à une pression croissante dans l’exercice de son cœur de métier.
Quelles sont les principales difficultés financières auxquelles les vétérinaires sont confrontés aujourd'hui ?
Les vétérinaires aujourd'hui font face à plusieurs défis financiers majeurs. Le premier provient de la clientèle, de plus en plus exigeante, qui souhaite bénéficier d’une structure « full service » incluant radiographie, laboratoire, échographie, une salle d’accueil séparée chien chat, etc. Cette demande exerce une vraie pression sur les professionnels pour qu’ils se structurent et investissent dans un plateau technique plus développé. En conséquence, de moins en moins de vétérinaires fonctionnent seuls aujourd’hui en raison des investissements nécessaires.
Une autre difficulté provient de la concurrence très forte sur les prix des aliments et antiparasitaires. Les vétérinaires doivent faire face à la concurrence des grands sites internet et des officines de pharmacie et ce qui réduit considérablement leur marge bénéficiaire sur la vente de ces produits.
Enfin, il est important de souligner que l’intégralité des actes vétérinaires sont soumis à une TVA de 20 % ce que les clients ignorent généralement. Cette taxe supplémentaire peut rendre les services vétérinaires plus coûteux pour les clients, ajoutant ainsi une difficulté supplémentaire pour les vétérinaires dans la gestion de leur prix et de leur rentabilité.
Et en termes de gestion et d’organisation au quotidien ?
Comme on le voit dans de nombreuses professions libérales, la casquette de chef d’entreprise est souvent compliquée et particulièrement pour les vétérinaires, en raison de la complexité de leurs structures. Les jeunes professionnels sont peu formés au management, à la gestion, à la comptabilité. À cela s’ajoutent des difficultés de recrutement. Il n’y a pas assez de vétérinaires qui sortent des écoles et parmi les diplômés, près de 20 % décident finalement de ne pas exercer quand d’autres décrochent au bout de quelques années d’exercices.
Comment expliquez-vous ces décrochages ?
Vétérinaire est un métier extrêmement exigeant et sous-estimé. Les professionnels sont souvent perçus davantage comme des prestataires de services plutôt que comme des médecins. Or l’exigence de ce métier s’étend sur plusieurs plans. Tout d’abord sur le plan financier, en raison des dépenses nécessaires pour acquérir du matériel de pointe et proposer un plateau technique répondant à la demande de la clientèle. Ensuite sur le plan de l’investissement personnel : les vétérinaires sont soumis à une obligation de continuité de soins ce qui inclut des gardes difficiles à assumer seul. La tendance générationnelle est de vouloir équilibrer sa vie personnelle et professionnelle en privilégiant des horaires de travail plus flexibles. Dans les grandes villes, des structures spécialisées dans les gardes vétérinaires se sont développées et permettent aux professionnels de réduire leur stress et la charge de travail liée à la continuité des soins. Enfin, la dimension psychologique humaine du métier n’est pas suffisamment prise en compte. Les vétérinaires côtoient de près la solitude humaine de certains propriétaires pour qui l’animal est tout. Les actes d’euthanasie sont nombreux dans cette profession. Les vétérinaires doivent gérer la détresse émotionnelle des propriétaires tout en maintenant un haut niveau de professionnalisme.
Quel regard portez-vous sur la financiarisation de la profession et l’impact du contrôle des structures vétérinaires par des réseaux ?
Il me semble qu’il y a réseau et réseau. Certains laissent une autonomie aux praticiens. D’autres sont plus restrictifs, en imposant des tarifs, des process, des objectifs de performance, etc. On sent en France une vraie défiance du vétérinaire vis-à-vis d’un contrôle trop poussé sur l’exercice de sa fonction. Les réseaux ont d’ailleurs plus de mal à s’installer en France qu’ailleurs. Probablement également en raison du cadre juridique réglementant l’exercice de la profession vétérinaire, renforcé par quatre arrêts du Conseil d’État du 10 juillet 2023 et affirmant que les établissements de soins vétérinaires doivent être majoritairement contrôlés par des vétérinaires qui y exercent et non par les investisseurs. Aujourd’hui environ 20 % des cliniques sont détenues par des réseaux alors qu’on est à plus de 50 % en Angleterre.
La survalorisation des cabinets est une des conséquences de cette financiarisation croissante. Quel impact sur l’installation des jeunes professionnels ?
Les réseaux pénètrent le marché en rachetant des cabinets vétérinaires dont les propriétaires partent à la retraite. Effectivement ces structures sont totalement survalorisées, parfois jusqu’à 300 % de leur chiffre d’affaires. C’est clairement un frein majeur au rachat de cabinets par les jeunes vétérinaires. Face à cette situation, la création de nouvelles structures devient une option plus attrayante. J’accompagne de nombreuses créations de structures financées intégralement par un emprunt bancaire, notamment avec INTERFIMO qui m’a suivi sur plusieurs projets. Pour optimiser le temps de travail et mutualiser les charges, les jeunes vétérinaires se lancent la plupart du temps à minima à deux.
Comment procédez-vous pour aider les praticiens à réussir leur stratégie de positionnement et de rentabilité ?
Pas de recette miracle évidemment ! Il y a autant de problématiques que de structures vétérinaires... L’amélioration de la rentabilité d’une structure vétérinaire nécessite une analyse précise du fonctionnement du cabinet, de sa situation comptable, de sa masse salariale et de son environnement concurrentiel pour mettre en place un plan d’action et suivre son évolution. Je fais généralement un point trimestriel dans lequel nous analysons, avec le client, les évolutions du tableau de bord par rapport aux préconisations mises en place et déterminons, le cas échéant, les ajustements nécessaires. Finalement, l’approche de l’expert-comptable, est très similaire à celle du vétérinaire que nous accompagnons : un diagnostic, la mise en place d’un traitement, son suivi et un réajustement éventuel en fonction des analyses !
Un seul conseil ?
J’insiste à nouveau sur l’exigence très forte de ce métier, qui implique des contraintes fortes pour le professionnel. Si je dois donner un seul conseil, c’est vraiment celui de se faire accompagner sur tous les aspects administratifs, gestion, comptabilité, RH... Comment fixer mes marges en fonction des actes ? Quand embaucher et à quel salaire ? Comment gérer son stock ? Il s’agit de permettre au vétérinaire de se concentrer sur son cœur de métier tout en l’aidant à appréhender la stratégie de développement de son cabinet et à monter en compétence dans son rôle de chef d’entreprise. Cet accompagnement, s’il est efficace, régulier et effectué en pleine collaboration avec le professionnel, constitue une réelle alternative à ce que proposent les réseaux financiers : être déchargé d’une partie de la charge de gestion tout en conservant son indépendance.