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« Peut-être l’État devrait-il assumer le fait qu’il n’a plus les moyens de soigner les gens » !

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« Peut-être l’État devrait-il assumer le fait qu’il n’a plus les moyens de soigner les gens » !
« Peut-être l’État devrait-il assumer le fait qu’il n’a plus les moyens de soigner les gens » !

Interviewé par OnLib’Infos sur l’état des lieux du secteur de la radiologie en France, le docteur Jean-Philippe Masson, président de la Fédération Nationale des Médecins Radiologues (FNMR), nous offre son regard éclairé sur les politiques de santé publique, l'indépendance de la profession et les dangers de la financiarisation.

Comment résumer l’état du marché de la radiologie aujourd’hui, en France ?

Comme dans de nombreuses professions médicales, nous faisons face à une pénurie de professionnels, en raison notamment des difficultés démographiques et du vieillissement de la population. Le nombre de nouveaux entrants ne permet pas de compenser les départs à la retraite. En ce qui concerne la pratique, on constate que les jeunes radiologues ont davantage de surspécialisations, telles que la radiologie interventionnelle. La formation s'est adaptée aux évolutions technologiques, se concentrant davantage sur l'imagerie en coupe, comme les scanners et les IRM, tandis que la radiologie conventionnelle reçoit moins d'attention.

Quel impact les évolutions sociétales ont-elles sur la pénurie de professionnels ?

Ici comme ailleurs, les jeunes professionnels ont tendance à privilégier l'équilibre entre leur vie professionnelle et leur vie familiale. Et donc à moins travailler. Cette tendance, combinée à la féminisation croissante de la profession, impacte le volume de travail effectif. En effet, il est souvent observé que les radiologues femmes ne travaillent pas toujours à temps plein, une tendance qui commence également à se manifester chez les hommes. Or, l'importance croissante de la radiologie dans le diagnostic médical, combinée au vieillissement de la population, accentue encore davantage le besoin de professionnels qualifiés. La situation est critique !

Quelles sont les actions de politique de santé publique à mener en priorité selon vous ?

Peut-être qu’il faudrait commencer par ne pas accabler les professionnels... On nous reproche trop de dépenses en raison du vieillissement de la population, l’assurance maladie se plaint de l’augmentation des maladies chroniques et des honoraires pratiqués par les médecins.... Et peut-être l’État devrait-il assumer le fait qu’il n’a plus les moyens de soigner les gens ! La santé n’est clairement pas une priorité...

Pour prendre un exemple très concret, la France est un des rares pays développés où le dépistage du cancer du poumon n’est pas opérationnel. Or les études montrent que ce dépistage permet de sauver environ 20 % des patients... On sait depuis longtemps que le dépistage est une stratégie efficace pour maintenir une population en bonne santé et réduire la charge financière sur les systèmes de santé. Nous réclamons depuis très longtemps que l’enveloppe « prévention » soit sortie de l’enveloppe générale « panier de soin ». Mais contrairement aux pays nordiques et anglo-saxons la France n’est pas prête à prendre en charge le coût de la prévention.

Comment préserver l’indépendance de la profession contre la tendance à la financiarisation ?

Les radiologues sont très concernés par la financiarisation avec aujourd’hui 15 à 20 % des structures radiologiques qui ont été rachetées par des groupes financiers. C’est trop... avec le risque évident d’une mauvaise prise en charge des patients. Un cabinet dirigé par des financiers va être guidé par la rentabilité immédiate et donc la réalisation des examens les plus valorisés. Or, en radiologie, beaucoup d’examens sont sous-valorisés. Des exemples nous sont remontés de groupes ayant imposé aux radiologues d’arrêter les mammographies, examens non rentables, et de faire un maximum de scanner et d’IRM !

Nos cris d’alarme ont été entendus et la publication de l’Ordonnance n° 2023-77 du 8 février 2023 a durci les conditions d’entrée des financiers dans les cabinets de radiologie. Les contrôles sont désormais renforcés et le Conseil de l’ordre est tenu de vérifier les statuts et pactes d’associés pour s’assurer que le médecin conserve son indépendance professionnelle.

Les jeunes radiologues sont-ils sensibilisés aux conséquences de la financiarisation ? Quelles sont les actions de la FNMR en ce sens ?

Dans son rôle de défense de la profession, la FNMR organise l’information des jeunes radiologues avec des séminaires (Ajaccio et Bordeaux) dans lesquels nous faisons intervenir des juristes pour expliquer les risques de ce type de montage. Par ailleurs, nous encourageons les jeunes professionnels à adhérer à l’association Corail créée en février 2023 (environ 2 000 personnes aujourd’hui) dans le but de fédérer les radiologues libéraux face à la financiarisation de la profession.

Le conseil de l’ordre des médecins se saisit maintenant vraiment du problème et vient d’ailleurs de radier un centre d’imagerie de la région lyonnaise au motif que les médecins n’étaient plus maitres de leur indépendance professionnelle.

Avec l’IA, comment la profession va-t-elle évoluer selon vous ? Le radiologue sera-t-il toujours indispensable ?

L'Intelligence artificielle a déjà apporté des améliorations notables en matière de scanners et d’IRM : processus accéléré de captation des images, diminution des zones de rayons X, retraitement des images, suppression du bruit pour une meilleure visualisation des images subtiles, etc.

En ce sens, l’IA enrichit notre pratique, permet d’aller plus vite et augmente la qualité des soins aux patients. Mais je ne pense pas que l’on pourra se passer un jour de la présence humaine. Si ChatGPT a aujourd’hui la capacité de lire une radio et de structurer automatiquement un compte-rendu, le risque d’erreur subsiste, et même en pourcentage infime, il est inacceptable, ce qui nécessitera toujours l’intervention de l’œil expert du radiologue. La profession évolue au rythme de ces progrès techniques et cela suppose évidemment de se former pour intégrer la nouveauté dans nos pratiques quotidiennes.

Quels sont les chantiers prioritaires pour la FNMR en 2024 ?

Notre premier chantier est celui de la réussite de la réforme du circuit des produits de contraste (permettant d’apprécier la vascularisation des tissus). Depuis un arrêté du 21 avril 2023, à partir du 1er mars 2024, les patients n’auront plus à se procurer individuellement en officine les produits de contraste qui seront mis à disposition directement par les radiologues libéraux pour les examens de scanner et d’IRM.

Le deuxième résulte du lancement, ce mois-ci, de notre centrale de référencement « Privalence » devant permettre aux radiologues de bénéficier de tarifs compétitifs sur les produits et les matériels utilisés. La plateforme regroupera un panel important de partenaires financiers, juridiques, d’industriels de petits et de gros matériels (scanner, IRM). Et bien sûr de laboratoires ou distributeurs de produits de contraste.

Et puis, la course de fond... arriver à convaincre l’État de modifier la règlementation des manipulateurs en radiologie. Le manipulateur a une formation tricéphale en radiodiagnostic, radiothérapie et médecine nucléaire. Ce qui en soi est déjà une aberration, le manipulateur exerçant toujours une seule des trois spécialités. Et comme c’est une particularité française, les manipulateurs étrangers, à qui il manque deux diplômes sur les trois, ne peuvent pas exercer en France et renforcer les effectifs. Sans compter que 82 % des manipulateurs sont à l’hôpital pour 30 % de l’activité. Cela n’a pas de sens... Il faut casser ce verrou.

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