Le régime de la séparation de bien est-il toujours celui qui convient le mieux aux professions libérales ?
La question du choix du régime matrimonial se pose tout particulièrement quand on exerce en tant que profession libérale. En fonction du régime choisi, les conséquences peuvent être très variables en termes de protection du conjoint, de succession ou encore, en cas de divorce.
Maître Deolinda de Freitas, notaire associée, maître Émilie Laurent-Gougelet, notaire et Perrine Dechen, collaboratrice chez 1317 Notaires, ont choisi trois cas (très) pratiques dans lesquels chaque régime a été envisagé afin d’illustrer les opportunités et les limites intrinsèques aux différentes situations ciblées.
Le cas de Paul, jeune pharmacien
Paul, jeune pharmacien, en concubinage depuis quelques années, envisage de se marier avec sa compagne. Il demande à son notaire de lui établir un contrat de mariage qui puisse préserver à la fois son conjoint d’éventuels créanciers professionnels et protéger la sauvegarde de sa pharmacie en cas de séparation.
● Le régime de la séparation de biens semble remplir cet objectif de protection, chaque époux ayant un patrimoine séparé, mais ce régime présente également des limites :
- la contribution aux charges du mariage, c’est-à-dire les dépenses liées à la vie du couple ou de la famille. Cette contribution est réputée effectuée à hauteur de leurs facultés respectives (selon les décisions des tribunaux, ces charges peuvent parfois s’appliquer aux dépenses relatives à la résidence principale et même secondaire) ;
- la protection du logement de la famille ;
- le profit indirect du conjoint par l’enrichissement de son époux.
En cas de faillite, les ressources financières à disposition du couple seront le patrimoine et les revenus du conjoint. La séparation de biens protège donc la future épouse de Paul des créanciers de l’entreprise.
● Si Paul se mariait en communauté (régime légal), les revenus générés par l’entreprise et les économies faites pendant le mariage profiteraient pour moitié à chacun des conjoints. Toutefois, le patrimoine des époux serait plus exposé aux dettes de l’entreprise.
En conséquence, tant que l’entreprise est en bonne santé, les attentes sont tout autant respectées mais en cas de mauvaise gestion, les effets seraient nettement différents.
● Quant à la participation aux acquêts, elle paraît aussi convenir aux objectifs de Paul puisque son entreprise ayant été créée avant le mariage, son conjoint est protégé pendant toute la durée de l’union.
Le cas de Pierre, chirurgien-dentiste en plein divorce
Pierre est chirurgien-dentiste, marié sous le régime de la séparation de biens. Il a créé son entreprise pendant le mariage et sa femme travaille avec lui. Doit-il craindre pour sa société en raison de son divorce ?
- En séparation de biens, même créée pendant le mariage, l’entreprise est un bien personnel. En cas de divorce, Pierre conservera alors son entreprise et son conjoint ne pourra rien revendiquer au titre de l’activité.
Toutefois, le conjoint pourra solliciter au titre du maintien du niveau de vie une prestation compensatoire, destinée à contrebalancer cette perte.
Le patrimoine de l’entrepreneur est pris en considération pour chiffrer cette prestation dont le montant à financer pourrait être conséquent et aboutir à la vente de l’entreprise.
Qui plus est, si le conjoint est également conjoint-collaborateur, sans rémunération, Pierre a pu s’enrichir à son détriment de sorte qu’il se verra attribuer le versement d’une indemnité pour enrichissement sans cause, voire des dommages et intérêts. - Sous le régime de la participation aux acquêts, l’entreprise est toujours la propriété de l’entrepreneur puisque l’époux agit comme s’il était en séparation de biens tant que le mariage est effectif. Lors de la séparation, le patrimoine de chaque époux est chiffré. Celui de l’entrepreneur comprendra la valeur de l’entreprise. Le conjoint qui s’est le moins enrichi aura droit à une participation. La prestation compensatoire est, dans ce cas, plus faible car la perte de niveau de vie du conjoint est mesurée. Le conjoint collaborateur pourra toujours agir au titre de l’enrichissement sans cause.À noter que la clause excluant l’entreprise des acquêts de l’entrepreneur est révoquée de plein droit (donc sans effet) en cas de divorce.
- En communauté, l’entreprise est un bien commun, propriété des deux époux. Dans ce cas précis, L’entreprise constituera, alors, un bien à partager sur lequel les époux devront s’entendre tant sur l’attribution que sur la valeur. En cas de désaccord, elle pourra être vendue.
Aucun régime matrimonial ne préserve totalement le décisionnaire quand se présente un divorce compte tenu des diverses réglementations et décisions des tribunaux qui tendent à protéger le conjoint.
Le notaire attirera l’attention de Pierre sur les conséquences de son décès pendant la procédure du divorce.
Le cas d’Odile, veuve de Jacques, ancien vétérinaire
Odile, femme de Jacques et mère de Pierre et Paul, a rendez-vous pour l’ouverture de la succession de Jacques, vétérinaire associé, avec lequel elle était mariée en séparation de biens. Aucune disposition n’avait été prise quant à sa succession. Quels sont ses droits ?
Quel que soit le régime matrimonial, aucun ne peut revendiquer la qualité d’associé, de sorte que les parts dont la valeur devra être fixée en accord avec les autres associés seront vendues. Odile souhaite se renseigner sur les droits successoraux induits par chaque régime matrimonial.
- En séparation de biens, l’intégralité des parts du cabinet vétérinaire figureront en actif. Les droits de succession seront importants et amputeront la succession d’une grande partie des liquidités.
- En participation aux acquêts, compte tenu des règles de calcul, Odile aurait bénéficié préalablement d’une créance de participation incluant une partie de la valeur du cabinet ce qui, mécaniquement, aurait diminué le montant des droits de succession.
- Il en serait de même en communauté.
Nous pouvons donc en déduire que tous régimes matrimoniaux confondus, le conjoint reste protégé. Les règles de succession une fois le patrimoine du défunt déterminé sont identiques pour tous.
Pour améliorer la situation du conjoint, le notaire aurait conseillé à ses clients :
- d’établir une donation entre époux permettant d’augmenter la part lui revenant voir de changer de régime matrimonial ;
- de souscrire à un ou plusieurs contrats d’assurance-vie.
En conclusion
Le régime de la séparation de biens remplit les objectifs des entrepreneurs quant à la liberté de gestion de l’entreprise, de la protection du couple en cas de liquidation judiciaire. Toutefois, les évolutions juridiques, judiciaires et sociétales tendent à en limiter les effets.
Bon à savoir
Le choix d’un régime matrimonial n’est pas figé. Il peut être modifié, d’un commun accord entre les époux, en fonction de l’évolution de leur situation familiale, professionnelle ou patrimoniale. Le notaire peut être sollicité à tout moment pour éclairer les époux sur l’opportunité d’un tel changement et les conditions de sa réalisation.