Le médecin a le devoir de s'adapter aux évolutions technologiques
IA, robotique, medtechs… Quel impact a eu la technologie sur la médecine depuis 20 ans ? Comment les praticiens s’adaptent-ils à la rapidité des changements, et à quoi ressembleront le métier de médecin et l’offre de soin en 2050 ? Fabien Guez, cardiologue libéral de renom, animateur de Check-Up Santé sur BFM Business et auteur de « Tous guéris dans 10 ans » a répondu aux questions d’Onlib’Infos.
Vous exercez en cabinet à Paris et en hôpital depuis plus de 25 ans. Quelles ont été les grandes étapes de votre carrière professionnelle et vos premières expériences avec la technologie ?
L’installation en libéral est une étape importante dans la carrière d’un médecin. Vous quittez le monde très protégé de l'hôpital pour un environnement où vous êtes livré à vous-même. À cette époque, il y a 25 ans environ, j’avais repris la patientèle d’un de mes chefs de service à la Pitié-Salpêtrière. Mon prédécesseur faisait encore des radioscopies quand j’employais déjà la technique de l’échocardiographie. Ensuite, le numérique est arrivé avec la possibilité de disposer de mémoires flash au lieu d'audio cassettes. Enfin, l’arrivée d’Internet a ouvert plus largement le champ des possibles.
Les nouvelles technologies ont-elles induit des changements dans votre rapport avec les patients ?
Elles nous permettent de suivre le patient entre les consultations et d’affiner nos diagnostics. Le rapport avec les patients a nettement évolué sous l’effet des technologies. Ils deviennent davantage acteurs de leur santé grâce aux outils et applications disponibles. Désormais, ils sont mieux informés, ce qui ne veut pas dire mieux formés. C’est à double tranchant car il faut expliquer, les mettre en garde par rapport à ce qu’ils peuvent lire sur la toile.
Les médecins sont-ils suffisamment formés et acculturés aux innovations technologiques ?
Le médecin a par définition le devoir de s'adapter. C’est aussi une question de responsabilité vis-à-vis de ses patients. Par exemple, la cardiologie est un métier très technique. Je change ainsi d’appareil d’échographie et autres appareils tous les trois ans. Problème : la pénurie de médecins fait que ceux qui exercent sont surchargés et qu’ils n’ont pas toujours le temps de bien se former quantitativement et qualitativement. La formation médicale continue est pourtant fondamentale. En France, elle est obligatoire mais n’est pas contrôlée, contrairement aux USA.
Certains pays sont-ils plus à la pointe en matière d’innovations technologiques ?
C’est un paramètre très lié au système de soins : les médecins les mieux équipés sont ceux d’Europe du Nord (Danemark, Estonie, etc.). Le revers de la médaille - pour eux comme pour leurs patients - est ce sentiment d’être plus facilement « tracé », notamment par les autorités administratives en charge de la santé. Chose sûre, la digitalisation de la médecine est une évolution incontournable. Le progrès doit néanmoins s’adapter à la pratique médicale.
La téléconsultation peut-elle constituer, pour certaines pathologies, une solution aux déserts médicaux ?
La téléconsultation est rentrée dans les mœurs du fait de sa prise en charge par l’Assurance Maladie. Certaines disciplines (dermatologie, psychiatrie et médecine générale) s’y prêtent mieux que d’autres. En revanche, la cardiologie est moins adaptée à ce mode de consultation. Les cabines de téléconsultation, qui sont surtout présentes dans les pharmacies et les prisons, peuvent être effectivement dans certains cas une solution à la pénurie de médecins sur certains territoires. Pour moi, cela ne remplacera jamais le contact direct avec le patient.
Avec l’intelligence artificielle (IA), le praticien gardera-t-il le monopole du diagnostic ?
L’intelligence artificielle (IA) nous permet d’affiner les diagnostics et de gagner du temps. En aucun cas elle ne remplace la décision du médecin. L’IA est utilisée en radiologie et en dermatologie notamment, avec beaucoup d’efficacité. C’est un outil dont le médecin se sert pour faire une synthèse, tout en gardant la main sur la décision. L’IA est à présent dans quasiment tous les dispositifs médicaux, et de nombreuses applications peuvent aussi aider un médecin à éviter des interactions médicamenteuses, des effets indésirables en les signalant lors de la rédaction d’une ordonnance.
À quoi ressemblera un médecin en 2050 ?
Dans 10 ans, nous ne pratiquerons plus la même médecine. Les thérapies géniques, les exosquelettes, les microrobots injectables, l’impression 3D qui permet de fabriquer de la peau ou du tissu hépatique, toutes ces technologies vont révolutionner le visage de la médecine. Quand on étudie la chirurgie aujourd’hui, on utilise des robots. Les opérations sont simulées sur l’avatar d’un patient avant l’intervention réelle. Un premier hôpital virtuel a été créé par la start-up rennaise Simango. La digitalisation de nos métiers pose toutefois des questions en matière de propriété et de protection des données de santé. Les informations concernant le patient devraient être réservées au patient et à son médecin/spécialiste traitant et ne pas être accessibles à des entreprises ou se retrouver vendues sur le darknet.
Quelle sera la place des médecins libéraux dans ce nouveau système de santé high-tech ?
Ils seront plus étroitement inclus dans la vie de l’hôpital grâce à la technologie. D’un bouton, ils pourront participer aux fameux staffs, aux réunions de préparation des interventions pratiquées sur leurs patients. Tous les professionnels de santé pourront interagir pour le bien du patient. Je suis convaincu que le cancer sera vaincu d’ici 2050. Le coût des premiers traitements les plus innovants sera forcément élevé. Il faudra assurer leur financement et leur accessibilité.