La profession de chirurgien-dentiste en plein virage
À l’heure où les négociations battent leur plein sur la future convention nationale des chirurgiens-dentistes, Michel Bergougnoux, directeur financier du groupe Les CDF - Les Chirurgiens-Dentistes de France, pose son regard d’expert sur le présent et l’avenir de la chirurgie dentaire libérale.
Crise sanitaire, inflation, ... en quoi la profession de chirurgien-dentiste est-elle impactée par le contexte économique ?
L’année 2020, comme pour tout le monde, a été compliquée, mais grâce aux aides mises en place, l’équilibre économique des cabinets dentaires a pu, dans l’ensemble, se maintenir. L’année COVID aura été une année blanche avec certes, une baisse d’activité, mais pas de fermeture de cabinets ou de laboratoires de prothèses comme nous pouvions le craindre. S’en est suivi, en 2021, une année de rattrapage durant laquelle les praticiens ont mis les bouchées doubles. Aujourd’hui, le contexte économique appelle une revalorisation des tarifs pratiqués.
La prise en compte de l’inflation galopante que nous connaissons à l’heure actuelle est donc une priorité absolue dans les négociations en cours en vue de la nouvelle convention professionnelle.
L’issue de ces négociations, entamées le 14 avril 2023, sera connue le 25 juillet prochain. Êtes-vous confiant ?
La signature de la nouvelle convention s’annonce délicate. Il faut tout d’abord préciser que cette négociation, qui impose la réécriture de toute la convention, est le résultat de la décision de la FSDL - Fédération des Syndicats Dentaires Libéraux (ndlr : le 2ème syndicat partie prenante) qui a choisi de s’opposer à la tacite reconduction de la convention de 2018. Les CDF privilégiaient au contraire la poursuite de la convention et une amélioration des conditions d’exercice des praticiens via des propositions d’avenants. À ce jour, les discussions s’enchaînent et chacun avance ces pions. Verdict le 25 juillet... Si les propositions de la CNAM ne sont pas validées par les organisations professionnelles, un règlement arbitral fixera les règles du jeu, à l’instar du renouvellement de la convention des médecins il y a quelques semaines...
La convention nationale de 2018 faisait déjà de la prévention et de l’éducation sanitaire une priorité. Quelles sont les conséquences concrètes sur l’évolution de la profession ?
En effet, l’exercice du praticien évolue considérablement notamment grâce aux actes de prévention. La carie est de moins en moins présente et les dents d’un jeune adulte de l’an 2023 ne sont plus du tout celles de l’adulte d’il y a 30 ans, et c’est tant mieux ! Les traitements lourds diminuent. Ce virage préventif suppose de repenser l’offre de soin, axée davantage l’éducation, la promotion de la santé et les techniques préventives, et non sur le « tout curatif ». En termes de rémunération du praticien, cela change la donne. Un des axes prioritaires des négociations actuelles porte sur les revalorisations tarifaires indispensables pour poursuivre le rééquilibrage économique de notre activité vers les soins conservateurs et préventifs. Par ailleurs, nous avons conçu un dispositif expérimental hybride avec une rémunération à l’acte pour tout ce qui est curatif et une logique de forfait pour les actes de prévention. C’est en s’inspirant des modèles scandinaves notamment que nous souhaitons faire évoluer la prise en charge, afin que le praticien qui maintient ses patients en bonne santé puisse bénéficier d’un modèle économique viable.
Le nombre de chirurgiens-dentistes est-il suffisant en France ?
La question n’est pas tant, me semble-t-il, celle du nombre de praticiens que celle de leur répartition territoriale. À Nice, par exemple, vous avez 1 dentiste pour 500 habitants et dans l’Eure 1 pour 3000. De même que pour les médecins, le problème de la désertification de certains territoires, notamment ruraux, risque de s’accentuer. Les actes d’urgence sont une priorité en termes d’accès aux soins et nous attendons aussi de la nouvelle convention des solutions facilitatrices pour que les confrères puissent s’installer dans des régions sous-denses.
La moitié des nouveaux chirurgiens-dentistes exerçant en France sont formés dans d’autres pays européens. Que vous inspire ce constat ?
C’est une réalité en effet, à la fois sociale et économique. En Espagne, au Portugal, en Roumanie ou en Belgique, les études restent exigeantes, sans toutefois cet écrémage tant redouté par les étudiants en fin de première année. Les choses vont probablement évoluer dans les prochaines années quand les effets de la révision du numérus clausus seront visibles. Par ailleurs, huit nouveaux sites universitaires de formations en odontologie ont été ouvert à la rentrée 2022 dans régions sans faculté dentaire ce qui devrait permettre la formation de plus de 7 000 praticiens d’ici 2026.
La profession de chirurgien-dentiste reste-t-elle attractive ?
Je le pense oui, d’ailleurs les étudiants les mieux classés à l’issue de la première année de médecine sont nombreux à choisir la voie dentaire. La question de l’attractivité se pose plutôt sur le mode d’exercice, la voie libérale étant moins plébiscitée par les primo-installant. La profession a vu le nombre de salariés doubler en dix ans, avec aujourd’hui près de 20 % de chirurgiens-dentistes salariés. Les centres dentaires se sont multipliés et captent une jeunesse qui est attirée par les centres urbains, et qui, par ailleurs, ne souhaite pas encombrer son temps avec des contraintes administratives ou règlementaires. Lorsqu’ils choisissent de s’installer, les jeunes chirurgiens-dentistes ne le font plus seuls afin de mutualiser les couts et les contraintes. L’un de nos objectifs principaux est donc de moderniser l’exercice libéral afin que les jeunes praticiens puissent continuer à exercer partout sur le territoire, tout en tenant compte de ces nouvelles aspirations.