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IA et avocats : s’emparer des innovations pour ne pas les subir...

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IA et avocats : s’emparer des innovations pour ne pas les subir...

Face à l’essor fulgurant de l'intelligence artificielle, les cabinets d’avocats s’adaptent en intégrant ces outils pour optimiser recherches et organisation. Mais derrière l'efficacité promise, des questions cruciales émergent : indépendance, responsabilité et maîtrise des données. Comment l'IA redessine-t-elle le quotidien des avocats ? Ludovic Blanc, avocat et fondateur de Obbo Avocats, témoigne de la pratique de l’IA dans son métier et de sa volonté de prendre le train en marche.

À l’heure actuelle, quels aspects du travail des avocats sont les plus susceptibles de bénéficier de l'IA ?

L’IA a cette puissance folle de pouvoir, notamment, synthétiser des tonnes d’informations en un temps record et de rechercher des informations précises. Elle est donc un formidable assistant de recherches, extrêmement rapide et efficace par exemple pour se faire une première idée sur le secteur d’activité d’un client, l’état d’un marché, l’activité juridique et judiciaire d’une entreprise donnée, etc.  

En termes d’organisation interne, notre cabinet utilise quotidiennement le logiciel Copilot qui est intégré en option à tous les outils de la suite Office. Il propose des questions, un suivi des tâches, nous pouvons l’interroger sur l’avancée de tel ou tel dossier et obtenir des chronologies d’échanges sur plusieurs années parfois avec l’ensemble des interlocuteurs concernés. Cela nous force, à notre stade de développement, à être extrêmement rigoureux au knowledge management, à la centralisation de notre archivage numérique des dossiers. L’outil est précieux pour l’ensemble des membres du cabinet, encore plus dans le cadre de notre politique d’onboarding.

Vous avez créé votre propre solution IA. Quelle était la motivation de départ pour ce projet ?

Je suis de ceux qui croient aux vertus de l’innovation et ne veulent pas voir le train passer sans en être passager. J’aime donc m’emparer des innovations le plus en amont possible car c’est la meilleure façon de ne pas les subir. Par ailleurs, je n’étais pas à l’aise avec l’idée de confier la data du cabinet à un prestataire. Comment faire si la solution devient vitale à l’activité du cabinet et que le prestataire décide de quadrupler ses prix ? Nous tenons à notre indépendance intellectuelle et économique, elle est consubstantielle à l’avocat et à notre déontologie. Nous avons donc décidé de créer notre propre robot sur un sujet précis, celui des négociations collectives, matière phare du cabinet.

Comment vous êtes-vous assurés de la pertinence des réponses apportées par ce robot ?

J’ai nourri ce robot avec toutes les données utiles portant, à ce jour, sur une convention collective dont j’assure le suivi des négociations et du dialogue social. Notre IA, appelée « Obbot » a digéré environ deux millions de mots, soit plus de 400 textes. Mes clients peuvent ainsi obtenir une première réponse juridique rapide aux questions simples qu’ils se posent, avec une garantie d’exhaustivité de la matière. La solution offre également un accès permettant à l’utilisateur de poser des questions au cabinet sous forme de prompt soit pour approfondir la question posée à Obbot, soit pour avoir une réponse sur une question à laquelle le robot ne peut ou ne sait pas répondre. Finalement, l’avocat est présent à toutes les étapes du parcours client. 

À ce jour, Obbot est toujours en beta test auprès de clients de confiance compte tenu du fait qu’il reste encore trop faillible sur certaines approches. Mais les évolutions de l’IA sont telles que ses principaux défauts actuellement observés chez Obbot devraient pouvoir être corrigés prochainement.

Et en matière de responsabilité ?

Cela fait évidemment partie de la promesse de Obbot : c’est une IA liée à un cabinet d’avocats, aligné avec sa responsabilité professionnelle et sa déontologie, et qui entend proposer aux utilisateurs une solution sécurisée. Une des questions fondamentales est celle de l’origine des réponses fournies. Dans le cas de Obbot, c’est un avocat qui assure la fourniture de la matière première au robot et c’est encore l’avocat qui va éventuellement intervenir après le robot, si le client n’est pas certain de la pertinence de la réponse ou en l’absence de réponse. Car la persona de Obbot a été configurée de telle sorte que les biais d’hallucination ont été réduits et il admet bien volontiers ne pas savoir quand tel est le cas. Obbot sera commercialisé comme un volet de ma prestation d’avocat conseil avec tout ce que cela implique en matière de responsabilité.

Quels sont les premiers retours ?

Les retours obtenus à ce jour sont enthousiasmants ! Obbot devrait être totalement opérationnel début 2025. Nous sommes toujours en phase de beta test avec plusieurs négociateurs patronaux de la convention collective concernée. 

La formation des avocats est-elle suffisante pour leur permettre de tirer pleinement parti des technologies d'intelligence artificielle ?

L’axe formation est à mon sens plutôt bien développé et ne cesse de se développer. L’EFB prévoit déjà des modules autour de l’IA dans son cursus de formation initiale et continue. Mais la question n’est pas tant la quantité de formations que celle de savoir sur quoi il est important de se former.

Je crois que les plus jeunes générations maîtrisent naturellement l'utilisation technologique de l'IA. Le véritable enjeu réside dans leur vigilance face aux informations reçues. Il me semble donc essentiel de sensibiliser les jeunes avocats au développement de leur créativité juridique, de leur esprit critique et à l'importance d'une rigueur absolue dans le traitement des données utilisées dans leurs dossiers. Car les hallucinations de l’IA peuvent coûter cher, comme dans la fameuse affaire de mon confrère Steven Schwartz, cet avocat américain qui s’était servi de ChatGPT - qui en était à ses débuts - pour formaliser ses écritures, sans vérifier les données fournies. Plusieurs des arrêts cités par le logiciel et repris dans les conclusions remises aux juges renvoyaient à de fausses décisions de justice et mentionnaient de fausses citations allant dans le sens de son dossier...

Résultat : outre les questions déontologiques, une amende de 5 000 $ et, surtout, des conséquences désastreuses en termes de réputation du cabinet. 

Les régulations en place permettent-elles d’encadrer efficacement l'utilisation de l'intelligence artificielle ? 

Les règlementations se construisent avec la pratique. Comme dans toutes les pratiques nouvelles, souvent l’anarchie règne avant qu’intervienne la régulation.

La réglementation avance néanmoins avec un premier acte législatif sur l’IA, le règlement européen sur l'intelligence artificielle (IA) adopté le 13 juin 2024. C’est un texte important destiné notamment à renforcer l’application effective de la législation existante en matière d'exigences de sécurité applicables aux systèmes d’IA et de droits fondamentaux. 

La profession travaille aussi actuellement, au moins au sein du Conseil National des Barreaux (CNB), pour savoir comment encadrer les pratiques. Dans l’attente, la profession dispose d’une boussole essentielle : sa déontologie.

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