Expertise-comptable : « Il faut se saisir des révolutions en cours. »
Situation financière des entreprises, mise en place du guichet unique, facture électronique, maîtrise des enjeux RSE : Christophe Priem, président de l'Institut Français des Experts-comptables et des Commissaires aux comptes (IFEC), nous partage son analyse et les actions prioritaires de l’IFEC pour permettre aux professionnels de saisir les opportunités offertes par les "révolutions" en cours et accompagner au mieux les entreprises.
Le rapport annuel 2022 de l’Observatoire des données économiques publié en mai dernier par le CNAJMJ* exprime le fait que « le que le tsunami annoncé des faillites n’a pas eu lieu ». À trois ans de l’octroi des premiers PGE quelle est votre analyse de la situation financière des entreprises ?
Christophe Priem : « Effectivement, nous venons de terminer les bilans au 31 décembre, date de clôture la plus importante pour les entreprises, bilans qui montrent une santé financière des entreprises plutôt bonne et l’on s’en réjouit ! On pouvait s’attendre, en début d’année, à des défaillances plus importantes. Les banques se sont montrées plutôt compréhensives pour le remboursement du PGE, de même que l ’Urssaf qui s’est mis en retrait en temporisant les assignations pour non-paiement des cotisations. Il semble que des consignes d’étalement aient été données pour ne pas mettre en difficulté les entreprises. La période de récession n’est pas arrivée et les entreprises restent compétitives malgré le contexte géopolitique et l’augmentation de l’inflation. Une des difficultés majeures aujourd’hui concerne la recherche de financements, avec la hausse des taux significatives ces derniers mois. »
En janvier dernier, l’IFEC s’est mobilisé contre le Guichet unique mis en place par le gouvernement et destiné pourtant à simplifier les procédures. Quel est l’état des lieux aujourd’hui ?
Ch.P : « Les praticiens ont servi de bêtatesteurs depuis six mois et font face aux nombreux dysfonctionnements de la plateforme, avec à la clé, stress et pertes de temps pour les professionnels. Alors oui, la situation s’arrange petit à petit, mais le sujet ne nous donne toujours pas satisfaction. L’IFEC s’est fortement mobilisé en janvier dernier avec une pétition pour demander le report du Guichet Unique, qui a recueilli plus de 4000 signatures. Nos représentants ont finalement été reçus à Matignon pour présenter le Livre Blanc recueillant les nombreuses remontées terrain d’experts-comptables, avocats, entrepreneurs, notaires et mandataires et réitérer notre demande de réouverture totale d’Infogreffe. Cette demande a été entendue avec une réouverture jusqu’au 30 juin. À partir de cette date, normalement, l'ensemble des formalités d'entreprise sera désormais disponible sur le guichet unique. Nous y veillerons. Cependant, afin de sécuriser la réalisation des formalités, la procédure de secours utilisée à titre dérogatoire et visant à permettre la continuité du service est maintenue jusqu'au 31 décembre 2023. »
Qu’est-ce qui explique ces dysfonctionnements selon vous ?
Ch.P : « Le principal problème est que le gouvernement est passé en force sur ce sujet, sans solliciter les acteurs du terrain que nous sommes, proches des problématiques de nos clients. On nous a parlé de simplification des process, je parlerais plutôt d’un transfert de charge avec une complexification des process pour l’entrepreneur. On nous demande une quantité incroyable d’informations pas forcément utiles, des masses de documents à scanner puis à envoyer. Une fois que la base de données sera bien remplie avec toutes ces informations, il y aura une grande simplification des tâches mais surtout du côté de l’administration plus que pour les usagers ! »
La révolution de l’écosystème des cabinets a été le thème de votre Congrès 2023. Concrètement quels sont les changements majeurs que vous constatez dans l’évolution de la profession ?
Ch.P : « Comme beaucoup de profession, l’expertise comptable vit déjà des changements majeurs que ce soit sur le plan sociétal et environnemental et bien sûr technologique. La mise en place de la facturation électronique constitue un allègement d’une partie de nos tâches et, de façon plus générale, l’intelligence artificielle s’apprête à révolutionner les compétences. Je ne suis pas inquiet pour la profession mais il est certain que nous allons devoir nous adapter, nous former différemment, être sans doute plus à l’écoute de nos chefs d’entreprises et miser sur la valeur ajoutée de la partie conseil de notre métier. Il faut se saisir des révolutions technologiques en cours, apprendre à les maitriser et être à même de sensibiliser nos clients pour les aider à s’en emparer également. Cela nous force à être agile et cela change la donne aussi en matière de compétences internes. »
Comment vous préparez-vous à ces « révolutions », notamment en termes de recrutement et de formation ?
Ch.P : « Nous devons être capable d’accompagner nos collaborateurs actuels à d’autres métiers. Avec une startup suisse, nous avons par exemple travaillé sur le développement d’un outil innovant SKIFEC pour optimiser l’ensemble des processus RH du cabinet. Il s’agit de la première plateforme de recrutement intégrant les « soft-skills », une étude psychométrique de chaque profil, un « vivier » de candidats pour améliorer le recrutement des cabinets, l’identification des écarts entre l’existant et les besoins du cabinet et constitue enfin un révélateur des talents cachés tant en interne qu’en externe.
Nous sommes également très conscients de la nécessité d’accompagner les experts-comptables à s’emparer de certains sujets clés pour aider efficacement les entreprises : la facturation électronique bien sûr, mais aussi les enjeux RSE avec l’entrée en vigueur, dès 2025, de la directive CSRD, à laquelle les entreprises doivent se préparer. Collecte des données ESG, mise en place de systèmes de reporting appropriés, identification des enjeux et mise en œuvre de stratégies durables... Les experts-comptables ont un rôle important à jouer pour accompagner les entreprises vers une meilleure transparence et une intégration plus poussée des enjeux environnementaux, sociaux et de gouvernance dans leur reporting. Proposer des solutions concrètes de formation et de sensibilisation de nos confrères sur ces sujets fait partie de nos chantiers prioritaires. »
* Conseil national des Administrateurs judiciaires et des Mandataires Judiciaires, Observatoire des données économiques, Rapport annuel 2022