Dématérialisation de la preuve : quel impact pour les huissiers ?
De même que d’autres professions réglementées, les huissiers intègrent dans leurs pratiques les dernières évolutions technologiques pour faire évoluer leurs propositions de services mais aussi pour faire face à une concurrence accrue d’acteurs externes. Blockchain, constats sur internet, preuve par drone… Le point avec Me Caroline Fabre, huissier de justice et responsable du projet Legide pour la Chambre des Huissiers De Justice de Paris (CHDJP).
De plus en plus d’acteurs se positionnent sur des créneaux autrefois réservés aux huissiers, en proposant des prestations moins encadrées et moins fiables en termes de recevabilité de la preuve. Certaines sociétés se vantent ainsi de « mettre un huissier dans votre poche » en permettant le dépôt de photographies géolocalisées dans une blockchain. Pour Me Caroline Fabre de la CHDJP, « l’opportunité offerte par ces nouveaux moyens se transforme parfois en opportunisme. Un dépôt de photographie géolocalisée dans une blockchain, même effectué par un huissier, n’est pas un constat à défaut de déplacement de l’officier public, d'autant plus si ladite blockchain n’est en réalité que gérée par une société commerciale plaçant l’huissier comme simple prestataire ponctuel ».
Des investissements technologiques en hausse dans les études et les chambres
Tout comme les avocats et les experts-comptables, les huissiers ont aujourd’hui intégré le potentiel du secteur numérique tant au niveau de l’apport d’affaires que de la facilitation de leur quotidien. Pour Me Caroline Fabre, « la phase d’évangélisation, accélérée notamment par la loi « Macron » et la crise sanitaire, est désormais derrière nous. La possibilité de porter nos actes aux justiciables par voie dématérialisée et les nouveaux outils de sécurisation des données entrent progressivement dans nos pratiques quotidiennes. Les huissiers sont demandeurs de nouvelles offres leur permettant d’élargir leur champ de compétences et par là l’offre dispensée à leurs clients. ».
Les chambres nationales et régionales ont également investi dans la recherche et le développement d’outils adaptés aux besoins de leurs membres. En plus de leurs missions traditionnelles, les huissiers de justice ont déployé un véritable savoir-faire dans la proposition mise en place de solutions numériques au service de leurs clients : plateformes de mise en relation pour les constats, applications métiers (pour les états des lieux, les constats internet, etc.), plateformes dédiées (Credycis pour les petites créances, Alertcys pour accompagner les lanceurs d’alerte, Medicys pour la médiation, Creancys pour la récupération de créances, jepaiemonloyer.com et jepaiemescharges.com pour les administrateurs de biens).
Le constat sur internet : oui mais…
S’il n’existe pas de textes spécifiques relatifs aux constats sur internet, ceux-ci ont néanmoins été strictement encadrés par la jurisprudence. L’huissier doit ainsi respecter un protocole strict : description du matériel et des logiciels, adresse physique, adresse IP, suppression de l’historique et des fichiers temporaires, vérification que l’ordinateur utilisé n’est pas relié à un serveur proxy…. Si ces conditions ne sont pas respectées, le procès-verbal perdra sa force probante. La Chambre Nationale des Commissaires de Justice (CNCJ) a également élaboré une norme d’établissement des constats sur internet, considérée comme non contraignante par les juridictions. Pour Me Caroline Fabre, cette « déontologie, faite pour protéger le justiciable, est le garant d’une preuve juridique incontestable et un garde-fou aux dérives commerciales ».
La blockchain, de plus en plus plébiscitée
La CNCJ, en coopération avec IBM, a mis à disposition de ses 102 membres, Legide, un outil blockchain destiné à les aider à protéger les créations soumises au droit d’auteur. Pour Me Caroline Fabre, responsable du projet : « désormais à Paris chacun de nous a accès à une blockchain et peut en faire bénéficier ses clients sans avoir perdu du temps en recherche et développement au détriment de son activité. Ce modèle permet de créer des solutions sécurisées et conformes, sans tomber dans l'incertitude réglementaire de certaines startups et sociétés commerciales. »
La blockchain permet de certifier la provenance d’un document, la propriété d’un bien, la date de dépôt d’une œuvre. Tout auteur (entreprise, cabinet d’avocat, conseil en propriété intellectuelle, etc.) peut ainsi demander que sa création (code, design, partition, photographie, etc.) soit enregistrée de manière infalsifiable et certifiée grâce à un constat d’huissier. Cet outil garantit aux justiciables la sécurité de leur preuve grâce à une garantie technologique et juridique. Il permet également de constituer un commencement de preuve en attendant l’intervention de l’huissier, de créer des actifs numériques tels les fameux NFT (Non-Fungible Token) ou encore des originaux électroniques. Chaque huissier peut facilement intégrer cet outil sécurisé dans son processus métier.
Constats par drone : efficacité maximum à moindre coût
Le nouveau « LegalPreuve constat par drone », désormais juridiquement sécurisé par un protocole validé par la Chambre des Huissiers de Paris, s’impose comme un outil efficace et de plus en plus utilisé pour la réalisation des constats. Les caméras attachées aux drones permettent en effet de visualiser des zones inaccessibles (toitures, éoliennes, constructions hautes) à faible coût et sans danger. Pour la société Juris Drone, 15 % des 2 millions de constats réalisés par an en France seraient ainsi réalisables par drones. Certaines situations s’y prêtent toutefois moins, notamment lorsqu’une autorisation de survol est requise (zones très urbanisées par exemple).
L’outil peut être manié directement par l’huissier, s’il est titulaire du brevet de pilotage ou par le pilote d’une société spécialisée, aux côtés d’un huissier. À ce jour, une trentaine d’huissiers ont été formés à cette pratique. Ces outils « renforcent notre efficacité opérationnelle, offrent l’opportunité d’améliorer surtout nos constats et de nous rendre plus proches des besoins de nos clients mais ne permettent pas de se passer de nous », explique Me Caroline Fabre. Les huissiers qui sauront s’emparer de la blockchain, du drone, de la signification électronique, des plateformes de mise en relation pourront toucher une nouvelle clientèle et démontrer toute leur valeur ajoutée.