Cession d’un fonds libéral : comment réussir cette transition professionnelle ?
La cession d'un fonds libéral représente un moment clé dans la vie professionnelle d'un praticien libéral, symbolisant souvent une transition importante. Laura Mancini, avocate, fait le point sur cette opération complexe qui mérite d’être préparée et étudiée avec soin par le praticien, tant sur l'évaluation du fonds, que sur les aspects juridiques, fiscaux, financiers et stratégiques.
Céder son fonds libéral : dans quel but ?
Voici trois situations types dans lesquelles la cession du fonds libéral peut être envisagée :
- Pour s’associer : lorsque l’on s’associe avec d’autres professionnels libéraux, on peut céder son fonds libéral à la société dans laquelle on sera associé, en vue d’y poursuivre son exercice libéral.
- Pour partir à la retraite ou se réorienter professionnellement : lorsque l’on a développé son fonds libéral durant toute sa carrière, qu’on l’a toujours exploité à titre individuel (en BNC), il est possible de le céder à un successeur. Il peut s’agir d’une personne avec laquelle on collabore depuis des années ou un tiers, dès lors que ces successeurs sont autorisés à exercer la profession libérale concernée.
- Pour passer en société : on peut décider d’exercer en société sans pour autant avoir un projet d’association avec d’autres professionnels libéraux. Dans ce schéma, le professionnel libéral va céder son fonds à la société unipersonnelle dont il détient l’intégralité du capital social et qu’il a lui-même constituée. Ainsi, le fonds libéral qu’il exploitait à titre individuel va être transféré dans la société dans laquelle il va poursuivre son activité et exploiter l’activité du fonds libéral.
Qu’est-ce que l’on cède ?
Le fonds libéral est composé de biens corporels et incorporels dont la clientèle/patientèle, le matériel et les locaux professionnels, le cas échéant.
Lorsque l’on cède un fonds libéral, on cède l’activité attachée au fonds et essentiellement une clientèle ou une patientèle qui en est la résultante. Généralement, cette clientèle ou patientèle est fortement attachée au cédant, elle est très « intuitu personae ». Il est donc difficile pour l’acquéreur de se rendre compte de ce qu’il acquiert et de bien évaluer le « juste » prix. Lorsque l’on acquiert cette clientèle/patientèle, on prend nécessairement le risque de la perdre puisqu’il existe un principe essentiel qui est le libre choix du client/patient de son professionnel libéral et que cette cession ne peut donc leur être imposée.
Les autres actifs cédés dépendent ensuite de l’activité exercée (par exemple, pour les chirurgiens-dentistes, les fauteuils de chirurgie-dentaire, pour d’autres professions libérales, le matériel informatique, le matériel médical, etc.).
Il est possible que la cession comprenne la cession du droit au bail commercial ou professionnel. Il est important de se référer au contrat de bail et de prendre attache avec le bailleur en amont de la cession. Certaines difficultés pourraient survenir notamment si le contrat de bail arrive bientôt à son terme au moment de la cession.
Dans tous les cas, il est important de faire un audit de l’activité, de bien s’informer sur la qualité de la clientèle, les contrats en cours, les équipements, l’état des locaux, la présence ou non de salariés, l’organisation, etc., pour avoir une meilleure vision de l’activité que l’on acquiert et de sa rentabilité, afin d’éviter les mauvaises surprises.
Comment évaluer le « juste prix » de la cession ?
Le « juste » prix de la cession est celui qui rencontre l’accord des parties.
L’administration fiscale a publié en novembre 2006 un « Guide de l’évaluation des entreprises et des titres des sociétés ». La valorisation du fonds libéral peut être réalisée selon diverses méthodes d’évaluation (méthode de la valeur mathématique ou dite « patrimoniale », méthode de la valeur de productivité ou dite « de rendement », méthode de la Marge Brute d’Autofinancement (MBA), méthode de la valeur du banquier, méthode des multiples de l'Excédent Brut d’Exploitation (EBE) ou du Résultat d’Exploitation (RE), etc.).
Selon la nature de l’activité, des activités sont mieux valorisées que d’autres. Certaines clientèles sont plus volatiles que d’autres, par exemple, le fonds libéral de l’avocat sera moins bien valorisé que le fonds libéral de l’expert-comptable où la transmissibilité est mieux garantie et l’opération moins risquée.
D’autres facteurs sont aussi pris en compte dans la valorisation et dépendent des professions concernées. À titre d’exemple, la typologie de la clientèle/patientèle, la localisation de l’activité, le domaine d’activité (spécialité le cas échéant), la transmissibilité, l’organisation structurelle, le marché local, la rentabilité, etc. peuvent être des facteurs impactant la valorisation du fonds libéral objet de la cession.
Financement de l’opération
Il est possible de financer l’opération par un emprunt, par des fonds propres ou encore par crédit vendeur ou par plusieurs de ces mécanismes. Il est important dans l’équation de réfléchir à l’impact de cet investissement sur l’activité pour toute la durée du financement. Le remboursement d’un emprunt peut être une charge lourde pour votre société si vous ne l’avez pas pris en compte dans votre prévisionnel et ainsi impacter votre trésorerie de manière conséquente.
Les emprunts pour ce type d’opérations sont généralement attribués sur 7 ans et peuvent aller jusqu’à 10 ans en fonction des dossiers. C’est aussi pour cela que le prix de cession doit être déterminé, en tous les cas dans les opérations de « cession à soi-même », en tenant compte de la capacité de financement de l’acquéreur (l’emprunt que vous êtes en mesure d’obtenir et/ou les fonds propres que vous pouvez mobiliser par exemple).
Il est aussi important de pouvoir maintenir votre rémunération afin d’éviter que l’opération de cession ne soit remise en cause sur le plan fiscal ou social, en vous reprochant d’avoir détourné le versement de votre rémunération en prix de cession. Ce risque est notamment élevé si le mécanisme de financement choisi est le crédit-vendeur.
L’affectation de la trésorerie (fonds propres) de la société à une telle opération n’est pas toujours adéquate. Il faut vérifier si cette trésorerie ne serait pas plus utile à l’activité en anticipant ses besoins à court et moyen termes.
Le remboursement de l’emprunt n’est pas une charge déductible, seuls les intérêts d’emprunt le sont, sauf cas d’abus.
Quels sont les aspects juridiques liés à cette opération de cession ?
Il est nécessaire, une fois la phase d’audit du fonds libéral terminée et l’accord trouvé entre les parties sur le prix de cession, d’établir un contrat de cession de fonds libéral entre les parties. Ce contrat doit être pensé minutieusement afin de protéger au mieux les parties et sécuriser leur accord sans négliger les règles applicables à leur profession.
Dans le cas d’un recours à l’emprunt bancaire, il est nécessaire de prévoir la rédaction d’une promesse de cession et de constituer un dossier de cession (prévisionnel à réaliser avec son expert-comptable, les comptes annuels des trois dernières années, les éléments sur la situation personnelle du cessionnaire, etc.) puis de rédiger l’acte de cession définitif et de réaliser les formalités nécessaires auprès de l’autorité compétente, du service des impôts et du greffe et la publication de l’annonce légale le cas échéant.
Il faudra aussi prévoir la clôture de l’activité individuelle (BNC) du cédant au niveau fiscal et social s’il ne poursuit pas son activité.
L’acquéreur peut aussi se poser la question de savoir de quelle manière acquérir ce fonds libéral. Il peut l’acquérir en propre s’il est en BNC, mais il s’endette alors personnellement et rembourse l’emprunt avec des sommes qui auront déjà été assujetties aux cotisations sociales et sur lesquelles le professionnel libéral aura payé de l’impôt sur le revenu.
Il est donc préférable de constituer une société pour reprendre un fonds libéral. La constitution de la société implique de maîtriser les spécificités liées à la profession exercée et de soumettre, en plus des actes liés à la cession, le dossier complet de constitution à l’autorité compétente.
L’ordonnance du 8 février 2023, entrée en vigueur au 1er septembre 2024, remplace les textes applicables aux structures des professionnels libéraux. Il n’y a pas de refonte substantielle des textes mais cette réforme a permis d’unifier et simplifier certains articles dont la clarté était contestable et également de fusionner le régime juridique des sociétés de droit commun et des sociétés d’exercice libéral.
Anticipation : une des clés du succès
Les meilleures opérations sont celles qui ont été suffisamment anticipées et organisées.
L'organisation de la sortie du cédant est une étape cruciale dans le processus de cession d'un fonds libéral. Cela implique notamment la gestion des relations avec les clients, la transmission des connaissances et des compétences, ainsi que la mise en place de mesures pour assurer une transition harmonieuse et maintenir la réputation et la valeur du fonds libéral.
Une cession réalisée dans la précipitation ne présage rien de bon. Il ne faut pas négliger le droit de présentation de clientèle/patientèle. Si les clients ou patients sont présents depuis plusieurs années c’est qu’ils ont accordé leur confiance au cédant. Si ce dernier part sans préciser qu’il accorde toute sa confiance à l’acquéreur et qu’il a désigné le repreneur comme son successeur auprès de ses clients/patients, la clientèle/patientèle sera plus volatile. À l’inverse, si une période d’accompagnement est mise en place, la clientèle/patientèle sera mieux préservée.
Fiscalité de l’opération
La cession du fonds libéral entraîne la taxation de la plus-value professionnelle générée par l’opération. Cette plus-value est égale à la différence entre le prix d’acquisition et le prix de vente déterminé entre le cédant et le cessionnaire.
La taxation est actuellement de 30 %, dont 12,8 % d’impôt sur le revenu et 17,2 % de cotisations sociales.
À titre d’exemple, pour un professionnel libéral qui n’a pas acquis sa clientèle/patientèle mais l’a « créée », et la cède pour un prix de 1 000 000 €, la plus-value sera de 1 000 000 €. Cette plus-value sera taxée à 30 % soit 300 000 € et il restera au cédant la somme de 700 000 €.
Toutefois, il existe des mécanismes pour permettre au cédant, selon sa situation, d’être totalement ou partiellement exonéré de la plus-value en fonction du prix de cession ou de son départ à la retraite s’il répond aux conditions pour bénéficier de ces régimes.
L’acquéreur doit régler des droits d’enregistrement sur cette opération. Les droits d’enregistrement varient selon le prix de cession : abattement jusqu’à 23 000 €, 3% entre 23 000 et 200 000 € et 5 % au-delà.
À titre d’exemple, si le prix de cession est de 1 000 000 €, les droits d’enregistrement s’élèvent à 44 160 € :
- jusqu’à 23 000 € : 0 €,
- de 23 000 € à 200 000 € : 5 310 €,
- au-delà de 200 000 € : 38 850 €.
Il est possible pour le cessionnaire d’amortir le fonds libéral acquis si les conditions pour en bénéficier sont remplies.
Conclusion
La cession d'un fonds libéral nécessite une approche intégrée prenant en compte les aspects juridiques, fiscaux, financiers et stratégiques. Une planification minutieuse, un financement adéquat et une organisation efficace de la sortie du cédant sont essentiels pour assurer le succès de cette transition professionnelle.
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