Entrée en vigueur de l’Ordonnance du 8 février 2023, ce qu’il va falloir concrètement changer dans les statuts de SEL
Après l’entrée en vigueur de l’Ordonnance du 8 février 2023 relative à l'exercice en société des professions libérales réglementées et la publication des premiers décrets concernant les professions juridiques et judiciaires, nous faisons le point sur ce qui va concrètement changer.
La loi du 14 février 2022 avait habilité le gouvernement à prendre par ordonnance les dispositions nécessaires en vue de clarifier, simplifier et mettre en cohérence les règles relatives aux professions libérales réglementées et faciliter le développement et le financement de leurs structures d’exercice.
Les travaux de la Direction Générale des Entreprises, auxquels un certain nombre d’organisations ont été associées, ont donné naissance à l’ordonnance n°2023-77 du 8 février 2023 (« l’Ordonnance »).
Riche de 135 articles, l’Ordonnance a pour caractéristique de fondre en un texte unique les textes transversaux applicables aux professions libérales réglementées (« PLR »). Se trouvent ainsi regroupés : le régime des sociétés civiles (livre II), celui des sociétés de type commercial (livre III), celui des sociétés pluriprofessionnelles d’exercice (livre IV) et enfin, celui des sociétés de participation financières de professions libérales (livre V). Le tout est précédé d’un livre I contenant une définition des professions libérales réglementées.
Les dispositions de l’Ordonnance sont entrées en vigueur au 1er septembre 2024 , complétées par décrets datés du 14 août 2024 (Ord. art. 134), spécifiques aux professions juridiques et judiciaires :
- Décret n° 2024-872 du 14 août 2024 relatif à l'exercice en société de la profession d'avocat ;
- Décret n° 2024-873 du 14 août 2024 relatif à l'exercice en société de la profession de notaire ;
- Décret n° 2024-874 du 14 août 2024 relatif à l'exercice en société de la profession de commissaire de justice ;
- Décret n° 2024-875 du 14 août 2024 relatif à l'exercice en société de la profession de greffier de tribunal de commerce ;
- Décret n° 2024-876 du 14 août 2024 relatif à l'exercice en société de la profession d'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation.
On attend toujours ceux relatifs aux professions de santé et ceux qui concerneront le secteur technique et cadre de vie.
Afin d’apporter des réponses concrètes aux questions qui se posent à l’issue de l’entrée en vigueur de l’Ordonnance, nous proposons de lister les modifications qui devront être apportées dans les statuts des sociétés des libéraux après un bref rappel des apports de l’Ordonnance.
Les apports de l’Ordonnance
Définitions
Définition et critères d’une profession libérale règlementée (Ord. art. 1er) (« PLR »)
Définition d’une PLR
Le premier article de l’Ordonnance définit la PLR comme les personnes exerçant « à titre habituel, de manière indépendante et sous leur responsabilité, une activité ayant pour objet d’assurer, dans l’intérêt du client, du patient, ou du public des prestations mises en œuvre au moyen de qualifications professionnelles appropriées ».
« Elles sont tenues, quel que soit le mode d'exercice de leur profession et conformément aux textes qui régissent son accès et son exercice, au respect de principes éthiques ou d'une déontologie professionnelle susceptibles d'être sanctionnés par l'autorité compétente en matière disciplinaire ».
Critères permettant de l’apprécier
Les PLR sont désormais définies par les critères cumulatifs suivants :
- l’exercice d’une activité dans l’intérêt du client, du patient, ou du public,
- l’activité est exercée à titre habituel, de manière indépendante et sous sa propre responsabilité,
- le professionnel libéral détient des qualifications professionnelles appropriées pour réaliser ces prestations,
- et il est tenu, dans ce cadre, au respect d’une déontologie ou de règles éthiques dont le non-respect peut être sanctionné par une autorité compétente en matière disciplinaire.
C’est la première fois, à notre connaissance, que l’exercice d’une PLR est défini dans un texte unique et transversal, sur la base de critères objectifs. L’intérêt que présente une telle définition est notamment de permettre aux ordres et représentants des professions libérales réglementées, de défendre le périmètre de leurs professions.
Les trois familles de PLR (Ord. art. 2)
L’Ordonnance organise les PLR en trois familles :
- les professions de santé, telles que définies dans la partie IV du Code de la santé publique et les biologistes médicaux,
- les professions juridiques et judiciaires (« PJJ »),
- et les professions techniques et du cadre de vie, famille qui réunit toutes les autres PLR.
Le professionnel exerçant (Ord. art. 3)
Une incertitude clarifiée
Sous l’empire de la loi n°90-1258 du 31 décembre 1990, différentes notions semblaient recouvrir la même réalité : professionnel exerçant, associé exerçant, associé …
L’Ordonnance définit la notion du professionnel exerçant (« PE »). Le PE est nécessairement une personne physique, devant remplir les critères cumulatifs suivants :
- avoir la qualité pour exercer sa profession ou son ministère,
- être enregistré en France, conformément aux textes qui règlementent sa profession
- et réaliser des actes relevant de sa profession ou de son ministère de façon indépendante. La seule réalisation d’actes de gestion ne saurait lui conférer la qualité de PE.
La personne européenne (Ord. art. 4)
La création d’un nouveau statut
De même pour prendre la mesure du régime instauré par l’Ordonnance, celle-ci définit la notion de « personne européenne » comme une « personne physique ou morale établie dans un Etat membre de l'Union européenne autre que la France, dans un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou dans la Confédération suisse et qui exerce, dans l'un de ces Etats, une activité présentant les caractéristiques d'une profession libérale réglementée au sens de l'article 1er ».æ
Les sociétés d’exercice libérales (« SEL »)
Généralités
Les SEL : la forme sociale la plus courante d’exercice des PLR
L’Ordonnance refond le régime des sociétés d’exercice. Nous nous concentrerons sur les SEL, qui sont la forme sociale la plus utilisée aujourd’hui par les professionnels libéraux.
Rappelons que les SEL exercent la profession qui constitue leur objet social par l’intermédiaire d’un de leur membre ayant qualité pour exercer la profession. Au moins un des associés doit être un PE exerçant au sein de la société, directement ou indirectement par l’intermédiaire d’une SPFPL (Ibid). Il est donc possible, à présent, d’avoir une SPFPL qui détient 100% des droits sociaux et des droits de vote d’une SEL.
La fin des sociétés commerciales de droit commun ?
On peut reprocher à l’Ordonnance de ne pas être très claire sur ce point.
Il semblerait que pour les PJJ qui avaient la possibilité d’exercer en société de droit commun, celle-ci soit maintenue. Néanmoins, l’article 132 appliquant à ces sociétés les dispositions de l’Ordonnance, l’intérêt du recours à celles-ci est, à notre sens, assez limité aujourd’hui. La seule disposition de l’Ordonnance qui ne soit pas applicable aux sociétés de droit commun des PJJ est celle relative à la dénomination sociale.
En d’autres termes, les statuts des sociétés de droit commun devront reprendre les dispositions de l’Ordonnance, mais pourront continuer de s’appeler SAS, SA ou SARL par exemple.
Les professions d’expertise comptable, de conseil en propriété industrielle, de géomètre expert et toutes les autres PLR qui pouvaient exercer en société de droit commun, conservent ce droit.
Détention du capital et des droits de vote (Ord. art. 46 à 81)
Sous réserve des dispositions propres à chaque famille et des décrets applicables à chaque profession, plus de la moitié du capital social et des droits de vote est détenue par des PE exerçant au sein de la société, que ce soit directement ou par l’intermédiaire d’une SPFPL.
Dans une société dont l’objet social est l’exercice d’une profession relevant de la famille des PJJ, le capital social et les droits de vote peuvent être détenus, en majorité, par une profession différente que celle de l’objet social, sous réserve d’appartenir à la famille des PJJ. Par exemple, des avocats peuvent détenir le capital social et les droits de vote d’une SEL de notaires, sous réserve qu’au moins un notaire exerçant soit également associé, directement ou indirectement, via une SPFPL.
Lorsque des professionnels d’une autre profession détiennent la majorité du capital social et des droits de vote d’une société, cette société doit compter (directement ou indirectement via une SPFPL) un PE exerçant l’activité de l’objet social au sein de la société.
Détention du complément du capital social et des droits de vote (Ord. art. 47)
Ce complément peut être détenu :
- Par des personnes physiques ou morales exerçant la profession constituant l’objet social (mais qui n’exercent pas leur profession au sein de la société) ;
- ou Pendant un délai de dix ans, des associés personnes physiques qui ont exercé cette profession au sein de la société et ont cessé toute activité, professionnelle (sauf s’ils ont fait l’objet d’une interdiction d’exercice) ;
- ou Pendant un délai de cinq ans à compter du décès, les ayants droit des personnes physiques qui ont exercé la profession au sein de la société ;
- ou Par une SPFPL ;
- ou Par des personnes physiques ou morales exerçant une profession libérale règlementée de la même famille ;
- ou Par toute personne européenne dont l’activité constitue l’objet de la société. S'il s'agit d'une personne morale contrôlée, partiellement ou totalement, par une autre personne morale, elle respecte les exigences en matière de détention du capital et des droits de vote prévues par l’Ordonnance.
Gouvernance (Ord. art 58 à 62)
L’Ordonnance prévoit strictement les personnes qui peuvent accéder à la direction des SEL.
SELARL | SELAFA | SELAS |
Personne physique associée exerçant au sein de la société |
Membres du directoire, président du CS, 2/3 au moins des membres du CS DG, président du CA, 2/3 au moins des membres du CA Ne sont pas applicables au SELAFA les alinéas 1 et 2 des articles L 225-22, L225-44 et L 225-85 du CCom |
Présidents et dirigeancs uniquement associés exerçant au sein de la société, donc y compris des personnes morales |
Précision pour les PJJ
L’Ordonnance précise que lorsque plus de la moitié du capital et des droits de votes sont détenus par une personne physique ou morale exerçant une PJJ autre que celle de l’objet social de la société, les dispositions rappelées dans le tableau ci-dessus ne sont pas applicables (Ord. art. 83). L’ordonnance précise simplement que seul le conseil d’administration ou le conseil de surveillance de la société doivent comprendre au moins un membre ayant la qualité d’exerçant au sein de la société. En définitive, l’Ordonnance ne règle pas le problème de la gouvernance qui était soulevé par les commentateurs pour les sociétés de droit commun sous l'empire de la loi du 31 décembre 1990. En effet, il semblerait, à la lecture, que dans l’hypothèse visée plus haut (majorité du capital et des droits de votes détenus par une SPFPL ou par une personne physique ou morale exerçant une autre PJJ), les mandataires sociaux pourraient être toute personne exerçant ou non une PJJ.
Ce qu’il va falloir modifier dans les statuts de SEL des PLR
Forme
Il sera nécessaire de remettre à jour les dispositions légales qui sont citées en référence à l’article1er des statuts. Il sera, à cet égard, fait mention de l’Ordonnance et des décrets applicables à la profession considérée.
Immatriculation (Ord. art. 42)
La société ne peut exercer la profession constituant son objet social qu’après son agrément par l’autorité compétente ou son inscription sur la liste ou le tableau de l’ordre professionnel compétent. L'immatriculation de la société ne peut intervenir qu'après l'agrément de celle-ci par l’autorité compétente ou son inscription sur la liste ou le tableau de l’ordre professionnel compétent.
Dans certaines opérations, la pratique était d’immatriculer la société « sans activité » pour procéder à l’opération de restructuration. C’était notamment le cas dans les cessions de fonds libéraux ou de droit de présentation qui sont faites sous condition suspensive de l’agrément de l’ordre ou de l’autorité compétente. Une fois l’agrément obtenu, les démarches étaient réalisées pour mettre en activité la société. Cette nouvelle disposition va dans le sens d’une note de service émise par les greffiers qui refusent aujourd’hui d’immatriculer les sociétés des PLR « sans activité ».
Information annuelle des autorités compétentes (Ord. art. 44)
Comme cela était prévu dans de nombreux décrets relatifs aux PLR, il est repris une obligation annuelle d’information qui est renforcée. La société doit maintenant adresser à l’autorité compétente ou l’ordre dont elle relève, un état de la composition de son capital et des droits de vote afférents, ainsi qu’une version à jour des statuts.
Une nouvelle obligation vient compléter cet arsenal, puisque doivent aussi être transmises les conventions contenant les clauses portant sur l’organisation et les pouvoirs des organes de direction, d’administration ou de surveillance ayant fait l’objet d’une modification lors de l’exercice écoulé.
La question se pose alors de savoir si les pactes ou autres règlements intérieurs devront être transmis à l’autorité compétente et dans quelle mesure. Il s’agit là d’une règle protectrice qui confère aux ordres un pouvoir de contrôle très étendu.
Cette nouvelle règle devra, à notre sens, être rappelée dans les statuts.
Conventions réglementées (Ord. art. 56)
D’après l’Ordonnance, seuls les associés PE peuvent participer aux votes sur les conventions réglementées lorsque les conventions en cours portent sur les conditions dans lesquelles ils y exercent leur profession (Code du commerce art. L. 223-19 ; L. 225-38; L. 225-40 ; L. 225-86 ; L. 225-88). Par exception, les conventions règlementées sont soumises à la collectivité des associés dans leur intégralité si le capital et les droits de votes de la société sont détenus en majorité par une SPFPL ou par une personne physique ou morale qui exerce une PJJ autre que celle exercée par la société.
Comptes courant des associés
Les comptes courant des associés étaient limités dans leur montant. L’Ordonnance lève cette restriction, qui n’est conservée que pour les professions faisant partie de la famille santé.
Il sera donc nécessaire de modifier les clauses.
Instauration d’un droit de retrait dans les SEL (Ord. art. 57)
C’est une évolution considérable. En effet, la jurisprudence avait refusé la possibilité de prévoir, dans les statuts, le retrait d’un associé, à défaut d’être prévu par la loi (Cour de cassation - Chambre civile 1, 12 décembre 2018, n°17.12-467.).
Les statuts peuvent maintenant prévoir le retrait d’un associé et l’organisation de celui-ci. La question va maintenant être de savoir comment les droits sociaux seront évalués, et notamment si la dépatrimonialisation prévue à l’article 52 sera invoquée. Effet, l'alinéa 1 de l'article 52 limite la dépatrimonialisation à l'agrément, mais semble l'ouvrir à toutes les situations à l'alinéa 2 du même article (Noter sur le sujet un arrêt du 22 septembre 2021 (Cour de cassation - Chambre civile 1, 22-9-2021 n°20-15.817 FS-B : RJDA 2/22 n°96), qui a validé le principe que des statuts puissent prévoir une méthode de valorisation en cas d'exclusion.). On rappellera que le principe de la dépatrimonialisation est de sortir de l’évaluation des droits sociaux de la société, la valeur de la clientèle civile.
En tout état de cause, il sera nécessaire d’être très vigilant sur les décrets car le texte de l’Ordonnance prévoit que : « A défaut de dispositions prévoyant les modalités de retrait dans les lois et règlements particuliers à chaque profession, les statuts de la société peuvent prévoir les modalités de retrait des associés de la société. ».
Une clause de retrait pourra donc être instaurée dans les sociétés dont les associés le souhaitent. La plus grande précaution sera de mise dans la rédaction de celle-ci, notamment car les clauses de retrait ont été la source d’un nombre important de conflits entre associés. Il sera absolument nécessaire, à notre sens, d’associer cette clause avec un mécanisme de valorisation des droits sociaux.
Actions à droit de vote double (Ord. art. 71)
Dans les sociétés du secteur de la santé, l’Ordonnance prévoit notamment qu’« aucun droit de vote double ne peut être attribué aux actions des sociétés constituées sous la forme de sociétés à responsabilité limitée, de sociétés par actions simplifiées ou de sociétés anonymes, lorsqu'elles sont détenues par des actionnaires autres que des professionnels exerçants réalisant leur activité au sein de la société ».
Cette règle préexistait dans la loi du 31 décembre 1990 précitée, mais l’Ordonnance en limite l’application au secteur de la santé. Il sera potentiellement nécessaire de revoir les statuts en ce sens.
Intéressement des collaborateurs (Ord. art. 72)
L’Ordonnance prévoit que les parts sociales ou actions des sociétés peuvent faire l’objet d’un contrat de bail, au seul profit de professionnels salariés (pour autant qu'ils soient en mesure d'avoir la qualité de PE) ou collaborateurs libéraux, qui deviennent associés, à l’exception des sociétés exerçant les fonctions d’officier public ou ministériel, de PE dont la profession constitue l’objet social de la société.
La clause statutaire ne devra pas nécessairement être modifiée, mais le régime est plus précis que sous l’empire de la loi du 31 décembre 1990 puisqu’il est clair que le collaborateur qui bénéficie de la mesure deviendra associé.
Comment modifier les statuts des SEL
A compter des décrets à intervenir concernant la détention du capital et des droits de vote, les associés devront voter les résolutions nécessaires pour mettre en conformité leurs statuts avec les dispositions de l’Ordonnance.
Il s’agit généralement d’une décision de l’assemblée générale, mais elle peut également résulter d’une simple décision unanime des associés si les statuts le permettent.
Délai pour modifier les statuts des SEL
Régularisation et mise en conformité
On rappellera que l’Ordonnance prévoit un délai de régularisation d’un an pour mettre les statuts en conformité. Un second délai de deux ans est prévu dans l'hypothèse où l’une des conditions relatives à la détention du capital et des droits de vote ou de la gouvernance viendrait à ne plus être remplie.
A défaut, tout intéressé peut demander en justice la dissolution de la société. Le tribunal peut accorder à la société un délai maximal de six mois pour régulariser la situation. La dissolution ne peut être prononcée si, au jour où il est statué sur le fond, cette régularisation a eu lieu.
Audrey Chemouli
Avocate au Barreau de Paris
Associée et co-fondatrice du cabinet Chemouli Professions Libérales
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