CPTS : vers la révolution des soins primaires
Introduites en 2016 dans le cadre de la loi de modernisation du système de santé, les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ont été créées pour répondre à un enjeu majeur : la coordination des professionnels de santé à l’échelle d’un territoire afin d’optimiser le parcours de soin des patients.
Pourtant, ces structures restent encore méconnues et insuffisamment valorisées. Jean-Christophe Calmes, médecin généraliste et président de l'URPS des médecins libéraux d’Occitanie, nous éclaire sur le fonctionnement des CPTS, leur impact pour les professionnels et les patients, ainsi que les leviers à activer pour accélérer leur déploiement.
En quoi les CPTS se distinguent-elle des autres structures de coordination des soins ?
Le concept de communautés professionnelles territoriales de santé est encore mal connu des professionnels, des patients et des politiques... Sur un territoire donné, les professionnels de santé – médecins, pharmaciens, infirmiers, etc. – , peuvent exercer de manière isolée, chacun dans son cabinet ou bien de façon coordonnée au sein d’une maison de santé pluriprofessionnelle (MSP), où les soins sont organisés autour du patient. La CPTS adopte, quant à elle, une approche différente qui vise à organiser les soins au sens large, non pas autour du patient, mais au niveau structurel, en prenant en compte toutes les ressources d’un territoire fonctionnel. Il s’agit d’optimiser la coordination entre tous les acteurs de santé, libéraux, hospitaliers, médico-sociaux, etc., pour permettre au patient de bénéficier d’une prise en charge complète et fluide, en d’autres termes, une organisation BtoB au service du patient.
Comment cette coordination s’effectue-t-elle concrètement ?
Au sein des CPTS, la mise en relation des professionnels soignants passe par un coordinateur qui agit comme un lien central au niveau territorial permettant de mobiliser et connecter les professionnels du territoire, qu’ils soient issus du secteur public ou privé.
Pour le patient, cela signifie un parcours de soins organisé autour de son lieu de vie, garantissant une prise en charge adaptée et complète. Dans le cas, par exemple, d’une patiente atteinte d’un cancer et qui rentre chez elle, son suivi ne peut pas être improvisé. Il faut coordonner plusieurs intervenants en fonction de ce que son état requiert : un kinésithérapeute spécialisé, un nutritionniste, des soins infirmiers adaptés…
La coordination ne se limite pas à l’organisation des soins : elle joue aussi un rôle crucial dans des problématiques de santé publique et sert, non pas à créer de nouvelles ressources, mais à mettre en avant celles qui existent déjà pour pouvoir les actionner plus efficacement.
Par exemple, au sein de la CPTS du Bassin de Thau, nous avons beaucoup travaillé sur les violences intrafamiliales, qui sont compliquées à déceler quand elles ne sont pas visibles chez le patient. Il faut être préparé. Nous avons donc monté des formations dédiées à l’identification de ces violences spécifiques et à leur degré de gravité, mis en place des protocoles et des outils pour aider les soignants à orienter les victimes, organisé une mise en réseau avec les institutions spécialisées, en médiatisant les numéros et services d’accompagnement. Nous avons aussi instauré une coopération renforcée avec les commissariats, les Dispositifs d’Appui à la Coordination (DAC) et les services sociaux. Jusqu’au procureur de la République, informé du travail réalisé sur le territoire par la CPTS. C’est un véritable ecosystème qui a été mis en place.
Comment l’activité des CPTS est-elle contrôlée ?
Les CPTS sont des associations loi 1901. Elles signent un contrat d’objectifs et de moyens avec l’agence régionale de santé (ARS) pour leur création et sont ensuite régies par un accord conventionnel interprofessionnel (ACI) avec la CPAM, qui réalise un contrôle annuel de leur activité. Ce suivi repose sur des indicateurs de performance permettant d’identifier les axes d’amélioration, de pointer ce qui fonctionne moins bien et parfois aussi de relever les indicateurs qui ne semblent pas adaptés à la réalité du terrain. Par exemple, l’un des critères d’évaluation était le nombre de patients par médecin traitant. Or, dans un contexte où la population augmente et où le nombre de médecins diminue, cet indicateur devenait biaisé et maintenir le nombre de patients pris en charge par le médecin était déjà un défi en soi. Notre demande a été entendue et l’indicateur s’attache aujourd’hui au ratio de patients sans médecin traitant, ce qui reflète mieux les besoins réels et les efforts de coordination.
En quoi les CPTS peuvent-elles constituer une réponse à certains défis majeurs de santé publique ?
La priorité pour demain, est d’investir dans le suivi des patients chroniques. D’ici 2030, la population des plus de 70 ans va fortement augmenter et nous devons anticiper leurs besoins en santé. Or, l’accès aux soins se dégrade. Nous avons clairement besoin d’un soutien financier, mais surtout d’une véritable volonté politique pour porter des structures de soins innovantes, pensées avant tout pour le patient, et non pour la rentabilité. Le modèle solidaire français est aujourd’hui fragilisé par une logique de financiarisation qui privilégie la rentabilité au détriment du soin. Or, les coûts des structures de santé explosent en fonction de ceux qui les gèrent. Il est urgent de remettre le patient au centre des priorités et de repenser notre organisation pour garantir un accès équitable et durable aux soins.
Les CPTS se révèlent très utiles, déjà sur des questions purement pratiques, je pense par exemple à la difficulté de trouver un médecin traitant. Dans la CPTS du Bassin de Thau, les services sociaux s’adressent directement à la coordinatrice qui se charge de trouver le médecin pour la personne en difficulté. Résultat : nous sommes passés de 11 % à 4,6 % de patients sans médecin traitant en l’espace de 4 ans. Alors même que la population a augmenté et que le nombre de médecins a diminué.
Enfin, je dirais que la présence d’une CTPS sert aussi l’attractivité du territoire en créant du lien entre des professionnels qui exercent majoritairement de façon isolée. Imaginer, créer et porter ensemble des projets pour offrir des outils, crée une dynamique commune susceptible de donner envie aux professionnels concernés de s’installer, de rester et d’avancer. La CPTS est une force motrice.
Sur quels axes faut-il agir pour permettre un développement plus ambitieux des CPTS ?
Les CPTS manquent de visibilité, ce qui nuit à leur développement. Il me semble que le principal défi que nous devons relever sans tarder est celui de leur valorisation et de leur pleine reconnaissance à tous les niveaux.
Auprès des professionnels de santé, d’abord, il est essentiel de mieux faire comprendre l’utilité des CPTS et leur impact positif sur les conditions de travail. De nombreux médecins restent réticents, persuadés qu’il s’agit pour eux d’une contrainte supplémentaire alors que c’est précisément l’inverse. Les CPTS constituent un levier d’amélioration du quotidien des soignants, en ce qu’elle contribue à réduire la charge administrative individuelle et offre un cadre de prise en charge plus structuré. Cette perception erronée, parfois entretenue par un manque d’information ou des idées reçues, doit évoluer et c’est à nous, professionnels engagés, qu’il appartient de démontrer concrètement aux soignants cette valeur ajoutée et les encourager à s’y impliquer.
Auprès des décideurs politiques, ensuite, les CPTS sont encore trop méconnues des élus. Or, lorsqu’elles existent et qu’elles fonctionnent bien, elles deviennent très vite un interlocuteur incontournable sur le territoire. Je ne minimise pas les coûts de fonctionnement, mais ces derniers ne représentent rien par rapport aux bénéfices apportés, tant sur la prévention, que sur l’accès aux soins et l’efficience du système global de santé ! J’ai calculé que le coût de ma CPTS correspondait à deux boites de doliprane par habitant et par an...
En conclusion ?
Les CPTS incarnent la révolution des soins primaires que j’appelle de mes vœux depuis longtemps. En France, ces soins sont encore largement sous-investis. La plupart des pays de l’OCDE utilisent 33 % de leur budget de soins sur les soins primaires, en France on est à 28 % et à 33% sur l’hôpital. Dans les autres pays, la moyenne est exactement inversée. En corrigeant ces sous-investissements sur les soins primaires, les économies d’échelle réalisables sur les dépenses de santé sont énormes.
C’est pourquoi j’invite les élus à venir voir sur le terrain, à comprendre le fonctionnement des CPTS et à soutenir leur déploiement. À venir constater qu’elles permettent de sortir du travail en silo et de construire une approche plus collective et efficace de la prise en charge sur un territoire donné. Ces communautés ont besoin d’un engagement politique fort pour continuer à se développer et répondre aux défis de demain. Peut-être suffit-il de rappeler qu’en 1958, la création des CHU avait suscité des débats et pourtant, aujourd’hui, leur utilité est incontestable. Je suis convaincu que dans 20 ans, il en sera de même pour les CPTS, qui apparaîtront comme une évidence dans l’organisation des soins primaires.